Apprendre, réfléchir et critiquer

Apprendre, réfléchir et critiquer

Imperfections et contradictions des Evangiles

« D'abord il y a des millions de lectures des évangiles, s'il y en a quatre, ça fait  trois de trop.

 Ce sont des textes qui de toute façon dès le départ sont structurellement                  incompatibles.

 Si vous essayez de dresser un calendrier de la vie du Christ avec les quatre évangiles vous n'y    arriverez pas »  […]

 Donc on est obligé d'interpréter. »

                                                    

                              Père Yves Combeau, prêtre Dominicain, intervention durant un débat
                              télévisé sur le thème : "Retour de la foi ou montée des intégrismes?"
    

      Source : "La Bible des communautés chrétiennes" , diffusée par "La Société Biblique Catholique Internationale".
Mon étude démarre à partir de l'épisode du "complot contre Jésus", épisode commun à tous les évangiles et à la suite duquel on commence à décrire les derniers jours vécus par Jésus-Christ. C'est cette histoire des derniers instants du Messie qui m'intéresse car après tout, la Bible est et sera toujours la première source à laquelle on se réfère pour connaître la vie (et la mort) de Jésus.

Évidemment, la traduction influence l'interprétation.Le nouveau testament ayant été ecrit en grec, toute reproduction dans une langue différente sera fatalement le fruit d'une première interprétation, celle qui a été faite par l'auteur (car rappelons le, la bible a été écrite par l'homme) quand il a traduit le texte originel. Nous reviendrons aux problèmes liés à cela dans un article qui s'y consacre tout spécialement.


Note : Mes parents m'ont offert cette bible, pour eux c'était donc avec celle-ci que j'aurais dû construire mon identité chrétienne, je pense donc qu'une critique constructive des textes qui étaient destinés à m'accompagner tout au long de ma vie et à m'enseigner une partie de notre histoire à tous s'impose, car il n'est pas question qu'on dise "Voilà, telle est l'histoire du peuple juif, et ensuite vint Jésus, et telle est l'histoire de Jésus" et que le reste tourne autour de cela, sans qu'on se penche sur les textes eux-mêmes et sur l'Histoire, l'Archéologie et autres disciplines qui puissent nous éclairer un peu plus sur le contexte dans lesquel on a écrit ces textes.

Un bon chrétien est avant tout un chrétien qui ne considère pas que la bible est immuable, qu'elle provient de Dieu lui-même et qu'il n'y a qu'une vérité et interprétation possibles. En somme, celui qui perd tout esprit critique devant la bible qu'il a reçu de sa communauté. Notez bien que je ne dis pas "La bible", mais bien la bible qu'on a lue, car dire "La bible" de façon générale reviendrait à dire que les Chrétiens lisent tous la même bible, or on en est bien loin, et surtout, il serait dangereux et prétentieux de penser que telle ou telle communauté religieuse reconnaît "sa bible" comme celle qui "traduirait le mieux le message du Christ".


 

1)      Le complot contre Jésus / La trahison de Judas

 

Matthieu :

Deux jours avant la Pâque, au même moment où Jésus prononce les paroles : « Vous savez que dans deux jours c'est la Pâque ; le Fils de l'Homme sera livré pour être mis en croix » (Mathieu, 26,2), « Les chefs des prêtres et les Anciens du peuple » se réunissent chez Caïphe et décident sa mise à mort, mais « pas durant la fête car le peuple pourrait s'agiter»

Aucun autre détail n'est fourni concernant la réunion (notamment les raisons précises de la décision de tuer Jésus)

La trahison de Judas est un épisode distinct de cette décision de mise à mort. Après le repas de Béthanie et l'épisode du vase de parfum, Judas va voir les chefs des prêtres et il négocie la livraison de Jésus pour 30 pièces.

A noter qu'ici il est précisé que Judas va voir les chefs des prêtres et demande : « Combien me donnerez-vous pour que je vous le livre ? » ce qui suggère que seul l'argent compte pour Judas dans son geste, ce qu'il regrettera plus tard en jetant les pièces d'argent avant de se pendre (selon Mathieu) après avoir déclaré avoir «fait mourir un innocent » en ayant appris la condamnation de Jésus.

Judas est donc vu plus comme un homme cupide, égoïste, motivé en soi par l'argent et non par un véritable désir de trahir Jésus à cause d'un manque de foi ou de confiance en lui. La preuve en est que dès qu'il apprend que Jésus est condamné, il se suicide (épisode absent des autres évangiles). Cela ne signifie pas qu'il croyait vraiment que Jésus était le fils de Dieu (et d'ailleurs les disciples eux-mêmes eurent des doutes jusqu'à la fin, jusqu'à ne pas croire Marie quand elle leur annonce qu'elle a vu Jésus ressuscité)  mais cela montre au moins qu'il était convaincu de son innocence, et que par conséquent, si Judas avait décidé de le trahir, ce n'était pas par plaisir de le faire, ce n'était pas « contre la personne de Jésus »  mais cela découlait plus d'un simple désir d'argent facile et assuré.

C'est en tout cas une manière rationnelle d'interpréter la façon dont Mathieu présente Judas dans son Evangile.

 

 

Marc :

Même chronologie que Matthieu. Deux  jours avant la Pâque « les chefs des prêtres et les maîtres de la Loi » décident de mettre à mort Jésus, mais « pas durant la fête car le peuple pourrait s'agiter ». Ici non plus on ne donne pas les détails de cette réunion.

Judas va négocier la livraison après l'épisode du vase, donc on sépare ici aussi dans le temps le complot et la trahison de Judas.

Pourtant à la différence de Mathieu, Judas ne demande pas explicitement d'argent aux prêtres quand il va les voir : « il s'en alla trouver les chefs des prêtres pour leur livrer Jésus ». L'argent n'intervient qu'après, car les chefs sont heureux de son geste, et ils lui « promirent de lui donner de l'argent ».

Ce qui diffère profondément de Mathieu, car pour ce dernier, Judas va voir les prêtres et leur demande directement combien ils sont prêts à lui donner en échange de la trahison, argent qu'il reçoit tout de suite, alors que pour Marc l'argent représente plutôt une récompense de la part des prêtres, qu'il lui donneront très vraisemblablement plus tard.



Luc :

Ici, « le fête des Pains sans Levain (Pâque) était proche ». Luc n'est pas aussi précis que Marc et Matthieu qui situent précisément ce moment deux jours avant Pâque.

Par contre Luc, contrairement à Marc et Mathieu,  précise les raisons pour lesquelles les grands prêtres et les maîtres de la Loi veulent éliminer Jésus : « ils avaient peur du peuple ».

La trahison de Judas prend ici une forme très différente : « Satan entre en Judas » au moment où avait lieu la réunion des prêtres, et donc il va « s'entretenir avec les grands prêtres et la police du Temple sur les moyens de leur livrer ».

On a donc ici une autre version encore de la trahison par rapport aux deux précédents évangiles: d'une part le rôle de Satan qui est explicite ici et totalement absent des autres, et d'autre part le fait que Luc ne sépare pas dans le temps, comme semblent le faire Mathieu et Marc, l'épisode de la décision de mise à mort de Jésus  par les prêtres de celui de la venue de Judas pour décider des moyens de le leur livrer. Pour Luc, ce sont deux évènements qui arrivent strictement en même temps.

Par contre, selon Marc et Mathieu, on précise que la venue de Judas advient juste après l'épisode du vase de parfum (le repas de Béthanie), épisode mystérieusement absent du récit de Luc, et pourtant présent et bien détaillé dans les trois autres évangiles. Luc ne précise en tout cas pas que ce repas advient en même temps que la réunion des prêtres qui décidera de la mise à mort, ce qui permet de douter de la cohérence temporelle entre Marc et Mathieu d'un côté et Luc de l'autre en ce qui concerne le moment de la trahison de Judas.

Enfin, on note que Luc aussi, comme Marc et contrairement à Mathieu, ne présente pas Judas comme quelqu'un d'avare, motivé à trahir Jésus essentiellement pour une question d'argent. Cela est confirmé par le fait qu'ici aussi ce sont les prêtres qui, heureux du geste de Judas, « offrirent une somme d'argent » que « Judas accepta », ce qui confirme le caractère secondaire que tient l'argent dans ce pacte entre les prêtres et Judas. A noter que Marc et Luc n'indiquent pas la somme, par contre Mathieu est très précis (30 pièces).

Par contre, contrairement à Marc, la somme d'argent n'est pas promise, mais « offerte ». Il reçoit donc l'argent tout de suite, comme chez Mathieu, ce qui ne change pas la signification de cette somme donnée à Judas : une récompense que les prêtres donnent en échange du geste de Judas, plutôt qu'une demande explicite de la part de Judas comme le propose Mathieu.

 

 

Jean :

Tout comme Luc, le complot n'est pas clairement défini dans le temps, « la Pâque des Juifs était proche ».

Comme chez Luc, on donne les raisons de la décision de mise à mort : on évoque toujours une peur, mais de nature différente de celle de Luc.

Ici les « Pharisiens et les chefs des prêtres appèlent à un conseil » en évoquant le fait que « cet homme fait quantité de miracles ». En effet, l'épisode du complot est placé chronologiquement après le chapitre consacré à la résurrection de Lazare par Jésus, à la suite duquel « beaucoup de juifs qui étaient venus chez Marie crurent en Jésus après avoir vu ce qu'il avait fait. Mais certains d'entre eux allèrent dire aux Pharisiens ce que Jésus avait fait ».

Jean présente donc l'épisode du complot dans un contexte bien précis, contrairement aux trois autres évangiles : les chefs des prêtres sont alertés par les témoignages de certains Juifs concernant les miracles de Jésus, notamment celui de Lazare. En fait cet épisode est tellement grave pour eux qu'on peut lire plus tard (Jean 12,10) qu'ils prendront la décision de tuer Lazare en plus de Jésus. Pour Marc et Mathieu le complot est un chapitre à part, détaché des autres dans le temps, il n'y a aucune précision sur les raisons ni sur les circonstances qui ont amené à la décision de mise à mort de Jésus.

Luc, comme on l'a dit précédemment, accoste (dans le temps) cet épisode à celui de la trahison de Judas et mentionne seulement « la peur du peuple » comme préoccupation affectant les grands chefs, mais n'explique pas cette peur et elle ne se réfère à aucun contexte précis.

Jean va plus loin et est très précis. Ce n'est pas la peur du peuple en soi qui est déterminante, mais plutôt la peur d'une intervention des Romains, capables de détruire «nous-mêmes, le Temple et la nation » et qui pourrait arriver si « nous le (Jésus) laissons faire » car « tous vont croire en lui ». C'est bien donc tout un contexte (politique, social, psychologique) qui est décrit ici, absent des autres évangiles, et qui justifie la crucifixion selon l'auteur.

A noter un ajout majeur supplémentaire de la part de Jean par rapport aux autres évangiles : l'intervention du Grand Prêtre pour cette année là, Caïphe : « il vaut mieux qu'un seul homme meure pour tout le peuple, plutôt que de voir la ruine de toute la nation », phrase que l'auteur commente en ajoutant que « ce n'était pas seulement pour la nation [que Jésus allait mourir] mais aussi pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés ».

Bien qu'il puisse jusqu'ici ne rien y avoir de strictement contradictoire par rapport à Marc, Mathieu et Luc, il y a bien des éléments qui diffèrent des autres « versions » si on peut les appeler comme cela sans heurter les sentiments.

Il y a pourtant plusieurs incohérences majeures dans le texte attribué à Jean qu'on ne peut ignorer.

Tout d'abord, Marc et Mathieu placent, comme on l'a dit, le complot deux jours avant Pâque. Or ici, la décision des prêtres de mettre à mort Jésus a lieu (au moins) 6 jours avant la Pâque (mais probablement un peu plus que six jours avant). En effet, le chapitre suivant, le repas de Béthanie, a lieu justement 6 jours avant Pâque (Jean 12,1), et on déduit que le complot contre Jésus a déjà eu lieu  car on peut lire à la fin du chapitre « C'est alors que les grands prêtres pensèrent à tuer AUSSI  Lazare » (Jean 12,10). On verra plus tard aussi que Jean donne une date différente des autres évangiles en ce qui concerne la mort de Jésus.

Ensuite, une précision totalement nouvelle apparaît : Jésus ayant été mis à mort, il « ne pouvait plus circuler sans danger chez les Juifs. Il s'éloigna vers le désert et il demeura avec ses disciples dans une ville nommée Ephraïm » (Jean, 11,54). De plus, « les grands prêtres et les Pharisiens avaient donné des instructions : si quelqu'un savait où il était, il devait le dénoncer pour qu'on l'arrête » (Jean, 11,57).

A part le fait qu'aucun des autres auteurs ne mentionne ces faits, ces derniers restent peu compatibles avec la chronologie des autres Evangiles. En effet, on ne précise pas jusqu'à quand Jésus va rester à Ephraïm, mais dans tous les cas, selon Marc et Mathieu, entre le complot et la Pâque, il se passe seulement deux jours, pendant lesquels se situe le repas de Béthanie (proche de Jérusalem) où sont présents Jésus et ses disciples. Il est donc inconcevable que l'épisode d'Ephraïm rentre dans ce contexte, sachant que cette ville est plus ou moins située à 20 kilomètres de Jérusalem,  Jésus et ses apôtres ne pouvant ni être aux deux endroits en même temps ni aller d'abord à Ephraïm pour revenir à Béthanie ensuite et tout cela en deux jours, ce qui serait totalement absurde.

Il semble donc bien que Jean adopte une chronologie différente par rapport aux autres auteurs concernant le complot contre Jésus, mais nous verrons par la suite que cela concerne d'autres évènements. Entre le complot contre Jésus et la mort de ce dernier, il semble assez clairement y avoir bien plus que deux jours qui passent, comme il est écrit chez Marc et Mathieu

Mais un autre élément est à noter ici, et ce n'est pas un détail. Judas n'intervient pas ici auprès des prêtres, il n'y a pas d'épisode de la  « trahison de Judas ». Ce n'est que plus tard dans l'évangile, durant la dernière Cène, que l'on précise : «déjà le diable avait mis dans le cœur de Judas, fils de Simon Iscariote, la décision de le trahir » (Jean 13,2). On peut lire ensuite dans le même chapitre, juste après le moment où Jésus prévient les apôtres que l'un d'eux va le trahir,  que Satan entre  (physiquement)  dans le corps de Judas, très exactement quand Jésus « trempa le morceau et le donna à Judas, fils de Simon Iscariote. Et avec ce morceau, Satan entra en lui » (Jean 13,26 et 27). La thématique de Satan est donc reprise ici comme chez Luc, sauf que selon ce dernier Satan conduit Judas chez les prêtres pour trahir Jésus.

Une réflexion s'impose alors au sujet des instructions données par les grands prêtres et les Pharisiens aux gens en ce qui concernait le fait de dénoncer Jésus. Cela est encore une fois en contradiction avec les autres évangiles : il est évident que pour Marc, Mathieu et Luc, le fait que Judas se soit rendu chez les prêtres pour « proposer ses services » rend inutiles les instructions des prêtres et Pharisiens puisqu'ils ont déjà la personne qui va leur rendre celui dont ils veulent la mort. Ou alors, et on revient à ce qui a été dit auparavant, ces deux évènements ne sont compatibles que si le temps passé entre le complot et Pâque est supérieur à ce qui est indiqué par Mathieu et Marc (deux jours).

 

En résumé :   

 

Plusieurs incohérences se présentent donc ici.

Le suicide de Judas est présent chez Mathieu seulement ; les motivations des prêtres sont racontées de façon plus ou moins identique entre les différents évangiles mais chez  Jean elles sont introduites dans un certain contexte et la réunion des prêtres et Pharisiens est décrite de façon beaucoup plus détaillée. De plus, toujours chez ce dernier, « la trahison de Judas » n'est pas décrite (et n'est mentionnée que plus tard) et le temps passé entre le complot et la mort de Jésus et bien différent par rapport à Marc et Mathieu. L'épisode d'Ephraïm est curieusement spécifique à Jean, ainsi que les instructions données par les prêtres aux gens de dénoncer Jésus.

Enfin, les trois évangiles qui mentionnent la trahison la présentent de façon fort différente, et, par conséquent, « l'image » de Judas, l'impression qu'on se fait du personnage, varie selon les auteurs. Luc fait allusion à Satan, tout comme Jean, et fait intervenir Judas (il décide d'aller voir les grands prêtres pour leur livrer Jésus) au moment même où a lieu la réunion qui décide la mise à mort de Jésus, tandis que Marc et Mathieu ne mentionnent pas du tout Satan et font intervenir Judas à un moment précis, après l'épisode du vase de parfum, le prochain à être étudié ici.

De plus, la façon dont Judas négocie la livraison de Jésus aux autorités peut se voir sous un angle différent selon qu'on lit Marc, Mathieu ou Luc. Judas paraît cupide chez Mathieu : il parle explicitement d'argent, qu'il reçoit instantanément de la part des grands prêtres ; chez Marc l'argent n'est qu'une récompense, pas une requête, promise à Judas (pas d'échange d'argent mentionné) ; Luc, lui, mélange un peu les deux versions : l'argent n'est pas demandé par Judas, il lui est offert, mais on le lui donne tout de suite.


La suite bientôt...






14/05/2009
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